Deux becs et demi

-Tu vas en briser des cœurs quand tu vas être grande.

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C’est ce qu’elle me disait, chaque jour, en me regardant jouer dans les feuilles, dans la piscine, dans le salon. Elle me regardait sans s’approcher, comme si elle avait peur de mon regard d’enfant. Elle me disait que tous voudraient de moi, que j’aurais l’embarras du choix. Ce qu’elle ne m’a pas dit, c’est que moi je ne voudrais pas d’eux. Elle ne m’a pas dit que je devrais me débattre entre mon désir d’être aimée et celui d’être libre. Entre mes indépendances et ma solitude. Elle ne m’a pas dit que je te verrais, dans les paupières de mes yeux fermés. Ces paupières qui combattent le sommeil, jamais assez fermées. Jamais assez fort. Me battre contre l’assujettissement, la superficialité, les amitiés saisonnières.

Elle m’a dit que ce serait facile, qu’il me fallait écouter mon cœur. Elle avait raison. C’est trop facile même, trop simple pour exister vraiment, pour valoir la peine d’en dire un mot ou deux.

Tu vas en briser des cœurs quand tu vas être grande, qu’elle disait. Ce qu’elle ne m’a pas dit, c’est que le mien ferait partie du lot. À répétition.