Les filles se cachent pour pleurer

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Il faut attendre calmement, on l’apprend tôt dans la vie. Reste toujours calme et enfermée en toi, ferme la porte de tes émotions. Garde toute ça en dedans, fille. Remplis les silences de maladresse. Sois patiente et attends trop longtemps. Il faut que ta patience soit tellement infinie qu’on peut la voir à l’œil nu. Attends des excuses qui ne viendront que si tu oses afficher ta propre faiblesse, au risque de gagner une nouvelle étiquette. Avoue que les ti-gars peuvent te faire mal, soit fragile un peu, mais pleure silencieusement en faisant bien attention de ne déranger personne et de ne laisser s’échapper aucune goutte de mascara, garde ton eyeliner bien en place, pis applique le sharp enough to kill a bitch.

Soit belle

Soit intelligente (mais pas trop)

Soit conne (un peu)

And speak english please too

Les filles attendent trop longtemps et parlent en premier, ne se font pas attendre. Elles donnent signe de vie dans l’immédiat, vivent dans la peur d’être oubliées. Si elles sourient, c’est qu’elles ont mal en dedans, leurs yeux scintillants trahissent leurs armes.

Elles se disent : allume une chandelle à la citrouille pour effacer l’odeur du dernier abandon, continue d’y croire, mais fait semblant de n’avoir aucune attente. Mange de la salade pour impressionner ta prochaine conquête de ta forme physique, satisfais le toute la nuit, et essaie de ne pas avoir l’air fatiguée le lendemain. Agis comme si tes cheveux dépeignés ne te concernaient pas, ouvre grand tes yeux de biche et accepte toutes les propositions, surtout s’il t’invite à déjeuner. S’il ne te propose rien, fait ce que seulement les good girls savent faire et part sans demander ton reste. N’oublie pas de prendre une photo de ses yeux full trop bleus dans ta tête parce que tu ne les reverras peut-être jamais. Retient cette image, cache-la quelque part dans ton coeur, garde-là en dedans, ça va servir plus tard. S’il te dit qu’il va te texter demain, assume qu’il ne le fera pas, ça va t’éviter une déception. Apprends à danser, trouve tes passions, aie tes propres projets, mais soit toujours disponible. Aime les enfants, mais ne lui en parle pas. Aime-les beaucoup, sois maternelle, c’est vraiment important.

Les filles, en attendant les princes, s’inventent des belles histoires. Aussi, elles étudient les comportements des garçons qui meublent leurs rêveries. Elles finissent par savoir toujours quoi et quand, même si ça les déçoit constamment de savoir à quoi s’attendre. Il faut cacher son regard tourmenté, il faut baisser les yeux et faire semblant qu’on ne pense pas juste à son homme-prince-rêve. Et malgré tout, les belles histoires prennent le dessus. On espère changer son quand et son quoi, fait qu’on se pose des cils en plastique par-dessus nos vrais, on mange plus tôt pour être pas gonflée en fin de soirée, on utilise notre revitalisant qui sent le plus bon, on enlève les cheveux de sur notre brosse et on range notre linge sale pour cacher les bobettes pas cutes qu’on portait hier. On fait toute ça mais rien parce que son quand c’est loin d’être aujourd’hui.

Et quand ça nous arrive, on cuisine des stéréotypes parce qu’on ne connait que ça. On se parfume le creux des coudes, on achète de la lingerie. Ça n’arrive pas juste aux autres, qu’on se dit. Ça arrive trop souvent pis ça arrive vite. Ça nous frappe en pleine face : on s’est fait des attentes, on a baissé notre garde. Alors on pleure un peu et on se trouve conne, parce que personne ne nous a rien promis, parce que personne ne nous promet jamais rien.

On comprend pas pourquoi, on se dit voyons donc : je suis impliquée dans mon travail, j’étudie vraiment fort dans un domaine qui me passionne, je ne lis jamais le Journal de Montréal (sauf des fois au travail parce qu’il n’y a que celui-là), je sais comment changer un pneu, je suis presque végétarienne, je recycle, je lis des livres, je connais bien la culture populaire et je peux parler de philo (non, ça s’annule pas), pis en plus j’ai vu pleins de films. C’est-tu une conspiration ?

Pis le prince après qui on court, lui il s’enfuit sur son cheval blanc avec une opinion déjà toute faite. Dans sa tête, on est compliquée ou naïve, trop bonasse ou trop chiante. On est féministe, pas assez activiste, on n’a pas d’ambition, on est paranoïaque, on veut tout contrôler, on a couché avec trop de gars. Ils se fait un beau petit résumé déjà-toute-faite dans sa tête, pis quand ses parents vont lui demander ce qui est arrivé à la belle petite francophone dans la robe rayée, il va pouvoir dire : c’était juste une folle, finalement.