Prends un numéro

peta

Croire aux soldes, aux promotions, aux grandes liquidations de fin d’été. Faire tourner dans ma tête des idées qui ne m’appartiennent pas. Privatiser le monde et attendre les pauses publicitaires afin de ne rien manquer. Changer de chaîne sur la mondialisation, écouter le hockey à la place. Devenir interchangeable à l’autre qui attend son tour et qui souhaite nous déloger comme une tache de graisse tenace avec C-L-R®.

Où allons-nous ? Au centre d’achat

Que ferons-nous demain ? 9 à 5.

Qui suis-je ? Je suis 345 678 901

Je suis une PME, une PME en pleine faillite. Je suis un énième produit de consommation consumé par les billets verts, bleus et rouges.

Et de toute façon nous allons à l’épicerie tous souriant comme si la guerre n’existait pas et que les gens de l’autre côté de l’Atlantique mouraient juste en théorie ou seulement dans les documentaires. On vote pour gagner, pour faire partie de la gang. On regarde les nouvelles en se demandant quoi préparer pour souper parce que nous on a gagné à la loterie des naissances. On n’arrive même pas à se sentir mal pour les réfugiés parce qu’ils ont fait l’erreur de ne pas naître Nord-Américains. Et le soir venu nous écoutons de la mauvaise télé pour nous donner du courage pendant que le monde subit maints crimes contre l’humanité. On peut représenter le viol à la télé, mais ne tue pas un chien par exemple, ça c’est non. Aucun animal n’a été blessé lors du tournage de cet épisode. Et on a hâte de se coucher enfin pour rêver un peu parce que notre horaire ne nous laisse pas le temps de nous adonner au bonheur.

Avides de blockbusters, de drama. À vide des émotions que la vraie vie ne sait pas nous donner. Donnez-moi des pilules au plus sacrant. On ne changera pas le monde avec ça. On ne refera pas notre système capitaliste comme ça. Mais, on peut relaxer un peu, engourdir nos neurotransmetteurs. Prescrivez-moi les plus fortes, monsieur le docteur. À défaut de changer le monde, changeons de réalité. Attends bien assis sur ton divan en cuir acheté chez Ikea que quelqu’un vienne te sauver.

Pendant ce temps-là, on entend du racisme sur les lignes ouvertes et ça ne nous fait pas plus d’effet que ça. Au pire, baisse le son. Les pauvres, ils ont juste à travailler. Les syndiqués, toute une gang de fendants-fainéants-geignards. Et on nous crie des insanités à ne plus finir. Les femmes n’ont qu’à fermer leurs jambes et leurs gueules. Bande de féminazis, de mal-baisées, de vagins désertiques. Mange ta viande, les enfants meurent de faim en Afrique. PETA fait des pubs sexistes et les végétariens profitent de la naïveté et du lait des pauvres vaches.

La vie est un grand magasin dans lequel on achète des biens, des objets, des services et où l’on travaille à offrir des biens, des objets, des services à d’autres qui y travaillent pour pouvoir se les offrir et ainsi de suite. Nous sommes insignifiants dans la chaîne alimentaire du grand magasin de la vie. Travailleurs de la réalité : on produit le beurre pour avoir l’argent d’un demi-beurre pour pouvoir s’en acheter plus tard. Toujours plus tard.

J’ai oublié mon code postal, mon adresse civique, mon matricule étudiant, mon numéro d’assurance sociale, le montant de ma dette étudiante, mon salaire, mon horaire de travail, mon numéro de téléphone, les données statistiques, les recensements, mon code permanent, mon numéro d’assurance maladie, mon infinie moyenne, le pourcentage de suicide au Québec, j’ai même oublié le nombre de gars avec qui j’ai couché (parce que c’est ça le chiffre qui compte le plus, non ?)

On ne révolutionnera pas le monde de la littérature avec ça. On n’est jamais qu’à l’intérieur des barrières d’un ensemble fini de positions et d’opinions prédéterminées. Malgré tout, on fait toujours partie du monde des possibles de ce système fermé. Alors que me reste-t-il à dire, si ce n’est que je suis ici, au cœur de la belle province, et que je ne me souviens pourtant de rien ?