Le fleuve

Il en eût fallu de peu pour que je fusse emportée par les vagues, par mes émotions incendiaires. Nous voguions sous le ciel de mes chimères, toi et moi, dans ton bateau qui me paraissant si imposant et si insignifiant à la fois. Étendue à la proue, je buvais le fleuve à grandes lampées, de mes mains qui saisissaient ce qu’elles pouvaient des émois. J’étais une dune de sable nacré, en proie aux marées de ton regard, inestimable bouée en cas de tempête. Éternellement accueillant, le soleil n’avait pas vu mon visage depuis des millénaires. Il me caressait les paupières de sa chaleur doucement constante. Tout à coup, je fus surprise de remarquer que tu ralentissais le pas de ton embarcation. Amusé, tu t’arrêtas juste assez rapidement pour me jeter par-dessus bord, avant de te précipiter, toi aussi, dans le long cours d’eau menacé par la pollution. C’était dégoutant et séduisant à la fois. La peur des créatures marines et de l’engagement s’entortillaient autour de mes frêles chevilles afin de me faire sombrer dans la plus grande déchéance amoureuse. Le fleuve Saint-Laurent fut, ce jour-là, le lit de notre amour naissant, de notre vérité. Aujourd’hui, il se meurt sous nos regards submergés. Malgré les déversements, les affronts et les insultes, immuable, le fleuve sera toujours le premier témoin de notre union. Et nous vaincrons en son nom.

2015-09-17 15.52