Apprendre à dater

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J’ai commencé à t’écrire cette lettre le jour de notre première rencontre. J’ai commencé à t’écrire sans trop savoir ce que j’avais à énoncer. Je me suis retrouvée hésitante, essayant de te montrer que je sais quelque chose de mon désir, et même du désir des hommes. T’expliquer que je tente d’occuper une position singulière dans le cadre limité de cette catégorie sociale qui me définit malgré moi. T’expliquer ma volonté d’échapper au savoir et à la connaissance. Dépeindre cette partie de moi qui ne sera jamais reconnue par le monde, jamais exprimée par les mots.

Quand on fait une nouvelle rencontre, il me semble de plus en plus que les mêmes questions se posent toujours. J’en ai presque l’impression de jouer un rôle, le mien. Je le joue chaque fois un peu différemment, quelque chose qui détone, une vérité que je ne sais pas atteindre. Dans une entrevue pour faire partie d’une autre vie, les questions défilent comme un formulaire à remplir. Il faut assimiler la matière de l’humain devant soi en quatrième vitesse. Tout ça parce qu’on vit dans un monde rapide et occupé. Signaux, wifi, ultra-sons ; capter l’atmosphère dans un écran, sans contact physique. J’aurais aimé qu’on apprenne à se connaître avec le temps. Finir par comprendre ton obsession du bacon à force de te voir en dévorer chaque jour. Que tu découvres mon végétarisme plus tard dans mon regard désabusé devant ton assiette. Je voudrais que tu apprennes que je ne suis pas bonne cuisinière en dégustant un de mes plats préparés avec attention. J’observerais alors ta gentillesse à travers ton manque de commentaires. La recherche organique au cœur de l’ère automatique. Aller là-dehors en quête de proximité, d’amour intracellulaire.

Parce que je n’en peux plus des hommes qui m’approchent dans les bars en me parlant de leur salaire, en se définissant par leur emploi, leur champ d’études. Je n’en peux plus de raconter mes espoirs et mes rêves dans un texte appris par cœur et répété cent fois. Prédéterminer l’autre et passer à autre chose. J’ai déjà trop entendu de promesses vides, de pour la vie. Assez d’infiniment impossibles d’amour éternel. Les plus tard, les dans dix ans, les rêves, la grande maison de campagne, j’en ai assez. Assez d’être tellement différente, de devoir faire semblant de ne m’être vraiment jamais sentie comme ça non plus.

J’ai envie d’honnêteté, de réalisme sentimental. Une présence souhaitée, mais pas nécessaire. J’aimerais mieux que tu me dises que tu veux t’essayer avec moi, même si tu ne sais pas ce que ça pourrait donner. Je voudrais que tu m’avoues tes incertitudes, tes doutes. Dis-moi tout sans extrapolation. Notre histoire ne sera peut-être pas plus vraie que les fois d’avant, j’ai peut-être fait du faux conte de fées mon leitmotiv, mais j’y crois encore.