Georgia o’kiffe moi

georgia

Avertissement : Toute ressemblance avec une personne réelle est voulue. Tous les lieux évoqués ont en effet été explorés.

Ça commence comme ça :

J’ouvre le frigo en pensant à demain matin. Il y a du lait d’amandes, je suis correcte. J’ouvre le frigo en pensant à demain midi. Il y a du tofu et du brocoli. Tout va bien aller. J’ouvre le frigo en pensant à demain soir. Un restant de soupe au chou : parfait. J’ouvre les tiroirs de ma commode en pensant à demain, mais je ne sais plus à quelle température me préparer. Il fait froid, il fait chaud : le monde est indécis. Météomédia m’annonce qu’il va pleuvoir. Je sors un jeans gris et un t-shirt bleu. J’avale ma mélatonine avec de la tisane relaxante : pas le temps de niaiser. Je regarde mon linge et je décide que non, finalement. Je sors un chandail rayé et un pantalon bleu. Je peux maintenant aller me coucher pour rêvasser un peu. Faire semblant de dormir dans mon luxueux lit qui n’est en vérité qu’un matelas sur le sol. Je pense au linge que j’ai choisi et j’essaie de trouver d’autres alternatives dans mon cerveau.

J’ai menti à propos du frigo

Je suis assise dans mon lit depuis le début

Êtes-vous fâchés ?

Parce que je peux le faire pour vrai

Tenez, voilà

Je viens de me lever pour vrai

J’ai ouvert le frigo trois fois

Vous sentez-vous mieux ?

Je regarde le plafond lointain et je me dis que je ne suis qu’un visage dans la liste d’affinités du compte Tinder de 361 garçons différents. TING! Vous avez un nouveau match. 362, yeah. Malgré tous ces profils qui m’ignorent un peu, je vis dans un éternel lendemain de veille solitaire et je pense sans arrêt au fait que si je meurs, personne ne s’en rendra compte. Il y a des gens qui comptent les moutons pour s’endormir. Moi, je compte le nombre de gens qui remarqueraient ma disparition. 1, 2, 3…

Trop lourd ?

J’arrête de parler de la mort

Je change de sujet

Pour vrai, je le jure

Je rêve que j’ai donné rendez-vous à quelqu’un à la station Mont-Royal et que j’attends en bas en me demandant si l’autre est en haut. Alors je monte, je fais le tour, je vérifie même à l’extérieur. Personne. Puis, je redescends attendre. C’est long. J’en finis par me demander si j’y suis à la bonne date, à la bonne heure, si tout ça n’était pas qu’un malentendu, si quelqu’un vient vraiment. Mon cœur se met à battre trop vite, à tenter de traverser ma gorge. Je ne dors plus vraiment. Je suis à demi réveillée et il est 2h45.

Trouvez-vous mes cauchemars un peu ridicules ?

Ça se peut

Mais continuez, je vous prie

J’ai encore des choses à dire

Il est 3h04, et pour moi, c’est le matin. Je bois mon café et je rampe dans mon appartement en tentant de ne pas penser. Mon cœur bat encore trop vite pour la vie. Je prépare un smoothie et je crains de réveiller tous les locataires avec le mélangeur. C’est long à liquéfier et le son me fait faire mille crises cardiaques, mais ça va faire une belle photo à mettre sur Instagram. Je vais aligner des fruits sur le dessus pour avoir l’air d’une vraie artiste des smoothies. #Vegan, ça donne plus de likes. Lors de la préparation de mes magnifiques recettes trouvées sur Pinterest, j’ai souvent peur que la lame du mixeur ne décide de s’envoler et d’aller se planter dans mes bras ou mon cou ; l’effarement du sang qui coule dans la cuisine, la poésie de me vider dans le mélangeur et de gâcher un excellent déjeuner par la même occasion. Je ne sais pas pourquoi j’y pense, mais j’y pense chaque fois, c’est comme ça.

J’avais promis d’éviter la mort, désolé

Je recommence :

Je laisse le temps passer, j’attends la vie, j’attends la mort (oups?). J’attends d’être passée devant toute bonne occasion de vivre, mais en vérité, j’attends juste qu’il soit l’heure de me rendre en cours. Devant mon miroir, j’essaie de faire quelque chose de mon visage vieillissant. They only want you when you’re seventeen. When you’re twenty-one you’re no fun. J’applique de la crème pour les cernes et je ne sais plus vraiment où m’arrêter. Je m’en étends jusqu’au menton pour être certaine. Dénudée devant le grand miroir appuyé contre le mur, les larmes aussi, coulent sur mon menton. Elles se mélangent à insécurités miracles-éclaircissantes-effet-liftant-hydrorafraichissantes.

J’ai arrêté de pleurer

Il fallait bien continuer de vivre

Continuer à performer

Parce que c’est ça que le monde attend de nous

Je suis dans la rue, direction Université de Montréal. Au creux de mes oreilles, Johnny Cash chante : it’s all over, every minute that you cry for her, is wasted don’t you know? J’arrive 30 minutes à l’avance pour mon cours. J’arrive toujours d’avance parce que ça me permet de m’asseoir à côté de personne. Sinon, je dois sonder la pièce et décider avec qui me placer, c’est trop de pression. Les gens arrivent et s’assoient autour, mais je ne suis pas responsable. Dans la classe, je suis consciente de chacun de mes mouvements, paranoïa corporelle. J’ai touché un genou par accident. Je suis mal à l’aise. J’essaie de me concentrer.

Ai-je l’air grosse assise comme ça ?

Je me redresse sur ma chaise

Dans le reflet de l’écran, j’aperçois mon double-menton

Je joins mes mains devant

Ça commence à devenir long cette histoire hein?

Je n’en ai plus pour longtemps, promis

Croix de bois, croix de fer

Si je mens, je vais en enfer

Il y a des jours où, pour me donner du courage, je m’imagine que j’ai neuf vies, comme un chat. J’en ai besoin parce qu’on dit que dans notre vie on ne rencontre l’amour qu’une seule fois ou deux. Moi, je rencontre l’amour chaque jour, à chaque tournant. J’aimerais tellement être spéciale, que l’amour me rencontre aussi souvent. Il faudrait que je fasse un effort, que je me rende exceptionnelle, mais comment ? Je vais tenir un crayon dans mon front en permanence, une forme phallique sur la tête pour devenir une licorne. Voilà : spéciale.

J’ai presque terminé

Vous pouvez toujours partir, si vous voulez

Je ne séquestre personne

Mais ça va bientôt devenir intéressant

Je serai concise, juré craché

J’écris mes travaux d’université en me demandant si mes profs vont me trouver conne. Si c’est assez bon, assez beau, assez académique. Puis, j’arrête pour écrire des lettres que je ne posterai jamais. De toute façon, je ne connais pas les codes postaux des gens qui comptent.

Je vous aime

Continuez de lire

Votre regard me soigne un peu

Je suis en train de vous écrire un poème. Juste pour vous. Voyez-vous ? La poésie, pour moi, ça a longtemps voulu dire rimer et abuser de la touche Enter. Maintenant, la poésie est partout : dans l’œuvre évocatrice d’une artiste qui m’inspire, dans l’odeur agréable d’une aisselle, dans le mot « pulsation », dans le graffiti de pénis sur le côté de mon immeuble. Pourquoi toujours des pénis ? Georgia avait tout compris. Reprendre le contrôle. Vagin.

La lumière des écrans fait briller vos yeux

Vous êtes magnifiques.